Une aire d'autoroute, froide à mourir.
Le vent me glace le dos. J'en peux plus de ce temps. J'en peux plus de cette tension, palpable à n'en plus finir. Comme une étendue de peau qui recouvrerait la tristesse.
Les voitures passent au compte-goutte. Au loin, des phares qui petit à petit se rapprochent, le pluie battante dans leurs halos.
Une musique étouffée, lancinante. La voiture décroche, accoste au quai qui indique numéro 7.
Papier journal froissé.
En sort un type avec une boucle d'oreille et un crucifix en pendentif. Il s'approche doucement de la pompe, et, sans même regarder autour de lui, la décroche. La portière ouverte laisse s'échapper quelques notes de l'autoradio laissé allumé.
Brindilles.
La clope au bec se consume doucement. Sûrement pas la première de ce qui semble être pour lui une longue traversée. Son front et son visage sont ridés, de ces rides illustres, de celles qui permettent de compter l'age de l'arbre, de se rendre compte de ce qui a été traversé.
J'y perçois l'essence d'une beauté brute, presque animale.
Lui m'ignore encore.
Son regard est bas, fatigué. Les lumières des néons crépitent en même temps que la clope s'éteint. Ses yeux croisent les miens.
Debout au milieu de cette station service déserte, contraste. Gousse de vanille dans du goudron.
Un sourire. Feu.
Les ailes se déploient. Goutte d'eau dans un feu.
Je m'autorise enfin à aller ailleurs.
Bien sur, je ne me souviens de rien. Rien d'autre que de ses heures dans ses yeux. Mes mains sur ses rides. De ses cheveux, de la douceur derrière cet air animal. Rien d'autre que ce sourire chaud, que ce feu sans cesse renouvelé.
Rien d'autre que de ces lundis soirs, quand tout à foutu le camp mais que tout est là quand même. Rien d'autre que ces souvenirs qui ne comptent pas, qui ne devraient pas compter tellement ils étaient doux. Tellement ils apportaient de la normalité dans ce monde décalé.
Rien d'autre que ces journées pleines et ces journées vides. Ces nuits remplies et ces crépuscules sans fin.
Je ne me souviens de rien d'autre que ces ailes qui se déploient au dessus du feu pour le raviver, quand le froid et l'humidité reviennent chasser la chaleur de nos cœurs.
Rien d'autre que le peu dilué dans le peu, et qui pourtant fait tout. Rien d'autre que le sel, qui se rappelle à nous, qui sature nos récepteurs. Rien d'autre que la pointe du piment piquant aux recettes qu'on pensaient fades.
Je ne me souviens que de cette rencontre, sans cesse renouvelée.
Dans nos têtes, dans nos corps, dans nos esprits. Dans ces moments-vie, ces moments de rien-qui-sont-tout, au coin l'un de l'autre.
Enfin ailleurs, 19 juin 2025